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Les femmes et la médecine alchimique – Présentation

Article publié le 24 décembre 2014. Pour citer cet article :
Claire Guillon, « Les femmes et la médecine alchimique – Présentation », Carnet de recherche, 24 décembre 2014 [en ligne].

Les femmes et la médecine alchimique – Présentation

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Introduction

Lorsque nous pensons aux femmes et à l’alchimie, les noms de Marie la Juive (iiie siècle avant notre ère en Grèce) ou Cléopâtre l’Alchimiste (iiie siècle en Egypte) sont les premiers qui viennent à l’esprit. Au même titre qu’Hermès Trismégiste, ses femmes font parties de la mythologie alchimique de l’Antiquité gréco-égyptienne, la recherche de la Pierre Philosophale et l’Élixir de Vie font directement allusion à l’Homme et sa mortalité.

C’est véritablement avec Paracelse (1493 ou 1494-1541) que la notion de médecine alchimique — également connue sous le nom de médecine hermétique, spagyrie, ou iatrochimie, apparait. Il se présente alors à contre-courant de la pensée dominante de l’époque qui considérait les quatre éléments (Eau, Air, Terre, Feu) dans toutes choses, y compris le corps humain, pour les remplacer par trois principes : Soufre et Mercure auxquels il ajoute le Sel. Il cherche alors à soigner les maux en rééquilibrant les niveaux de ses trois substances chez l’Homme à travers la confection de remèdes à base de plantes et de minéraux.

Nous offrons ici bien évidement un résumé très succinct de la pensée de cet alchimiste, astrologue et médecin suisse. Il en sera de même pour les différentes femmes que nous avons choisi de retenir dans cette présentation, qui ne peut être qu’une introduction à un sujet si vaste que les femmes et la médecine alchimique.

Essor des femmes alchimistes aux xvie et xviie siècles

En 1561 à Venise est publié pour la première fois I secreti della signora Isabella Cortese[1], un livre de recettes aussi bien alchimiques que médicales. Ce dernier est organisé en quatre parties : la médecine, l’alchimie, la teinture et fabrication d’encres, la cosmétologie. Il connut un certain succès en Italie mais également en Allemagne, et fut réimprimé de nombreuses fois à la fin du xvie et durant tout le xviie siècle. Il est aujourd’hui avéré qu’Isabelle Cortese est un pseudonyme et des doutes quant à son genre subsistent. Aucune trace ne permet de faire remonter cet ouvrage à une personne ou un groupe de personnes en particulier, il est probable que le fait d’utiliser un pseudonyme féminin était avant tout un choix commercial, pour attirer le lectorat féminin.

Quelques décennies plus tard, au Danemark, Sophie Brahe (1556 ou 1559-1643), plus connue pour son œuvre méthodologique de recherche de sources en généalogie, s’intéressent à l’horticulture et la chimie. Elle est la sœur de l’astronome Tycho Brahe, et une abondante correspondance nous permet d’établir qu’elle possédait un laboratoire dans lequel elle préparait des médicaments pour ses proches, mais également les pauvres, dans la tradition de la médecine spagyrique de Paracelse. Il nous reste peu de preuve de son travail alchimique, elle serait l’auteur d’un traité perdu sur la Pierre Philosophale, et on lui attribue une ballade en danois contenant des allusions à l’alchimie et la médecine, mais rien ne prouve qu’elle en soit l’auteur.

Le premier ouvrage à nous être parvenu dont l’identité est avérée est celui d’Alethea Talbot Howard (1585-1654) — également connue sous le nom de Comtesse d’Arundel, Natura Exenterata[2] publié post mortem à Londres en 1655. Dans cette œuvre, elle propose de nombreuses recettes à bases de végétaux pour une utilisation médicale, se rapprochant ainsi de l’iatrochimie paracelsienne. Originaire d’Angleterre, Lady Talbot voyagea beaucoup durant sa vie, particulièrement en Italie et en Flandres, et il est probable qu’elle eut connaissance du livre des secrets d’Isabelle Cortese lors de son long séjour vénitien.

Il est intéressant de noter que la sœur d’Alethea, Elizabeth Talbot Grey (1582-1651) — également connue sous le nom de Comtesse de Kent, est elle aussi l’auteur d’un ouvrage médical A Choice Manual of Rare and Select Secrets in Physick and Chyrurgery[3] publié post mortem à Londres en 1653. Outre des recettes de cuisine, ce dernier contient également de nombreux remèdes thérapeutiques, ainsi que des références à la médecine de Paracelse.

Publié du vivant de son auteur, Marie Meurdrac (1610-1680), à Paris en 1666, La Chymie charitable et facile en faveur des Dames est un ouvrage non seulement encyclopédique mais pédagogique. En effet, dès l’« Avant-propos », elle souligne l’importance de faire passer son savoir à travers ce livre[4] mais également la possibilité d’enseigner en personne aux femmes qui n’arriveraient pas à mettre en pratique les procédés décrits[5]. Son livre est organisé en six parties. Dans une première partie, elle présente les principes et opérations, les trois premiers chapitres concernant spécifiquement les trois principes iatrochimiques « Du Sel », « Du Soufre », « Du Mercure ». Dans une deuxième partie, elle expose ce qu’elle nomme la « vertu des Simples » dans laquelle elle explique les méthodes et techniques de la chimie. Puis dans les trois parties suivantes, elle traite des propriétés des substances animales, minérales et végétales, et de la façon de les combiner pour obtenir des remèdes médicinaux. La sixième et dernière partie concerne plus particulièrement l’élaboration de préparations cosmétiques. Ce livre connut plusieurs rééditions du xviie au xixe siècle, ainsi qu’une traduction en langue allemande.

Contemporaine à Marie Meurdrac, Katherine Boyle Jones (1615-1691) — également connue sous le nom de Lady Ranelagh ou Vicomtesse Ranelagh, sœur du philosophe, chimiste et médecin Robert Boyle, fut influente dans les cercles d’intellectuels britanniques du xviie siècle. La correspondance qu’elle entretenait avec de nombreux nobles, intellectuels et scientifiques de son époque, particulièrement son frère, suggère un intérêt majeur pour la chimie et la médecine. Elle possédait ainsi son propre laboratoire où elle conduisait des expériences seule ou accompagnée de son frère. Aujourd’hui, les traces de cette collaboration peuvent être trouvées dans des manuscrits appartenant à la famille Boyle, notamment un carnet de recettes Kitchen-Physick[6] comportant entre autres des remèdes médicinaux à base de plantes et de minéraux dont l’auteur pourrait être principalement Katherine.

Lady Ranelagh aurait également participé à l’ouvrage du médecin Thomas Willis Pharmaceutice Rationalis[7] publié à Londres en 1674, ils conduisaient en effet de nombreuses expériences ensemble, et il est probable que des recettes thérapeutiques élaborées par Katherine aient été inclus dans le livre de Willis parmi les siennes.

Femmes et savoirs à la Renaissance

À travers ces différents parcours de femmes pratiquant la médecine notamment alchimique, nous pouvons nous rendre compte de l’évolution du statut de ces dernières dans la société intellectuelle et scientifique de l’Europe Renaissante. Ainsi dans la deuxième moitié du xvie siècle, nous avons peu de preuves de l’existence d’Isabelle Cortese ou bien des travaux de Sophie Brahe. Les ouvrages des sœurs Talbot ont été publié post mortem au milieu du xviie siècle et mises à part ces publications, nous conservons peu de traces de leurs expériences conduites de leur vivant.

C’est véritablement avec Marie Meurdrac et Katherine Boyle Jones que les choses évoluent. En publiant de son vivant son ouvrage pour les Dames, et cela malgré les difficultés et les doutes qu’elle a pu rencontrer[8], avec « Approbation des Docteurs en Medecine »[9], Marie offre à ses contemporains une nouvelle façon de considérer le savoir des femmes :

Je m’objectois à moy-mesme que ce n’estoit pas la profession d’une femme d’enseigner ; qu’elle doit demeurer dans le silence, écouter et apprendre, sans témoigner qu’elle sçait : qu’il est au dessus d’elle de donner un Ouvrage au public, et que cette réputation n’est pas d’ordinaire avantageuse, puisque les hommes méprisent et blasment toujiours les productions qui partent de l’esprit d’une femme. […] Je me flattois d’un autre costé de ce que je ne suis pas la premiere qui ait mis sous la Presse ; que les Esprits n’ont point de sexe, et que si ceux des femmes estoient cultivez comme ceux des hommes, et que l’on employast autant de temps et de dépense à les instruire, ils pourroient les égaler. […][10]

Katherine Boyle Jones fut membre de nombreux cercles d’érudits britanniques, notamment l’« Invisible College » un précurseur de la « Royal Society of London », s’intéressant aux sciences naturelles mais également alchimiques, autour de la personne de son frère Robert Boyle. Grâce aux correspondances qu’elle entretenait avec d’importants hommes et femmes de savoir, mais également plusieurs hommes et femmes de pouvoir, son influence au sein de la société intellectuelle et politique a été notable durant le xviie siècle en Grande-Bretagne.

La médecine alchimique présuppose des connaissances en pharmacopée, afin d’élaborer des recettes thérapeutiques. Il n’est pas étonnant de retrouver des femmes dans ce domaine d’expertise, la connaissance des remèdes à bases de plantes serait un des héritages que se passaient les soigneuses à travers les siècles, notamment les sages-femmes. Nous pouvons également présumer que les femmes étaient familières des différentes procédures propres à la chimie à travers la cuisine. Il est intéressant de noter que l’ensemble des ouvrages dont nous avons connaissance est destiné en priorité à un public féminin et propose outre des remèdes médicinaux, des recettes culinaires ou cosmétiques.

Aucune de ses femmes n’a suivi une éducation universitaire, certaines ont bénéficié de leurs relations familiales, comme Sophie Brahe ou Katherine Boyle Jones, et nous pouvons noter que Marie Meurdrac est une « Damoiselle », cette indépendance a du renforcer ses difficultés pour se faire accepter auprès de la société intellectuelle et scientifique française. Tous ces ouvrages traitant de médecine sont écrits en langue vernaculaire, nous pouvons supposer que ces femmes ne maitrisaient probablement pas la langue latine, n’ayant pas accès à la même éducation que les hommes, mais nous pouvons aussi souligner que le but de ces chimistes était avant tout de faire connaître leurs « secrets », il est donc logique que cela se fasse dans une langue comprise par le plus grand nombre.

Cette attitude universaliste, en parfaite adéquation avec le serment d’Hippocrate, est rappelée dans la plupart des ouvrages, ici en exemple les propos de Marie Meurdrac dans La Chymie charitable et facile en faveur des Dames :

Je demande encore cette grace à ceux qui le voudront entreprendre, qu’ils distribuent liberalement aux pauvres les remedes comme j’ay fait jusques à present, puisque je leur apprens le moyen de les faire presque sans depense ; et puis qu’il est inste enfin que je profite de mes veilles, je les conjure pour toute reconnoissance, de se souvenir de moy dans les charitez qu’ils feront, et de me faire participante du merite de leurs bonnes œuvres ; impetrant pour moy du Ciel par leurs prieres, et par celles des pauvres qu’ils soulageront, de nouvelles lumières, et des connaissances encore plus utiles que je puisse derechef leur communiquer.[11]

Conclusion

La place des femmes dans l’histoire de l’alchimie a toujours été admise, de Marie la Juive à Marie Meurdrac, les connaissances féminines en matière de pratiques scientifiques et de savoirs concernant les plantes et minéraux sont parvenues jusqu’à nous aujourd’hui sous différentes et multiples formes. Outre ses savoirs, ces femmes possédaient probablement une perception plus subtile du corps, mais également de l’esprit féminin, par rapport à la plupart de leurs homologues masculins. Bien qu’elles puissent publier des ouvrages de vulgarisation médicale dès le xvie siècle, il faudra attendre plusieurs siècles pour que les femmes soient reconnues au même titre que les hommes dans cette discipline en Europe et obtenir ainsi l’autorisation de pratiquer la médecine sans crainte de procès au cours du xixe.

Bibliographie

Ouvrages concernant la médecine alchimique cités dans cette présentation ainsi que les liens permettant de les lire intégralement ou en partie :

Boyle Jones Katherine, Kitchen-Physick, Wellcome Institute Library MS. 1340 http://archives.wellcome.ac.uk/dserve/recipebooks/MS1340.pdf (date dernière consultation le 24/12/2014)

Cortese Isabelle, I secreti della signora Isabella Cortese ne’quali si contengono cose minerali, medicinali, arteficiose, e alchimiche, e molto de l’arte profumatoria, appartenenti a ogni gran Signora : con altri bellissimi secreti aggiunti, Venise, 1561. https://archive.org/details/isecretidelasign00cort (date dernière consultation le 24/12/2014)

Meurdrac Marie, La Chymie charitable et facile en faveur des Dames. Par Damoiselle M. M. Seconde Edition, Paris, Jean d’Hoüry, 1674

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k108042h/f1.image (date dernière consultation le 24/12/2014)

Talbot Alethea, Natura Exenterata : or Nature Unbowelled By the most Exquisite Anatomizers of Her. Wherein are contained, Her choicest Secrets digested into Receipts, fitted for the Cure of all sorts of Infirmities, whether Internal or External, Acute or Chronical, that are Incident to the Body of Man, Londres, 1655

http://www.cs.arizona.edu/patterns/weaving/monographs/phil_nat.pdf (date dernière consultation le 24/12/2014)

Talbot Elizabeth, A Choice Manual of Rare and Select Secrets in Physick and Chyrurgery, collected and practised by the Right Honorable, the countess of Kent, late deceased, London, 1653 http://quod.lib.umich.edu/e/eebo/A47264.0001.001?view=toc (date dernière consultation le 24/12/2014)

Willis Thomas, Pharmaceutice Rationalis :Exercitation of the Operations of Medecines in Humane Bodies, Londres, 1674

Ouvrages ou sites utiles sur le sujet de la médecine alchimique et des femmes scientifiques :

Giese Patsy Ann, Women in Science : 5000 Years of Obstacles and Achievements,

http://www1.umn.edu/ships/gender/giese.htm (date de dernière consultation : 24/12/2014)

Gordon Robin L., Women Alchemists. Stories and Reflections on Their Place in History, Psyche, and Science, http://www.womenalchemists.com/Home_Page.php (date de dernière consultation : 24/12/2014)

Margolin Jean-Claude et Matton Sylvain (dir.), Alchimie et Philosophie à la Renaissance, Paris, Vrin, 1993

Vaysal Philippe et Rivière Philippe, Alchimie et Médecine,

http://www.miroir.com/spagyrie/main4.html (date de dernière consultation:24/12/2014)

 

[1] Isabelle Cortese, I secreti della signora Isabella Cortese ne’quali si contengono cose minerali, medicinali, arteficiose, e alchimiche, e molto de l’arte profumatoria, appartenenti a ogni gran Signora : con altri bellissimi secreti aggiunti, Venise, 1561.

[2] Alethea Talbot, Natura Exenterata : or Nature Unbowelled By the most Exquisite Anatomizers of Her. Wherein are contained, Her choicest Secrets digested into Receipts, fitted for the Cure of all sorts of Infirmities, whether Internal or External, Acute or Chronical, that are Incident to the Body of Man, Londres, 1655.

[3] Elizabeth Talbot, A Choice Manual of Rare and Select Secrets in Physick and Chyrurgery, collected and practised by the Right Honorable, the countess of Kent, late deceased, London, 1653

[4] « De plus, que cet Ouvrage est utile, qu’il contient quantité de remedes infaillibles pour la guerison des maladies, pour la conservation de la santé, et plusieurs rares secrets en faveur des Dames ; non seulement pour cosnerver, mais aussi pour augmenter les avantages qu’elles ont receus de la Nature ; qu’il est curieux, qu’il enseigne fidellement et familierement à les pratiquer avec facilité ; et que se seroit pecher contre la Charité de cacher les connoissances de Dieu m’a données, qui peuvent profiter à tout le monde. », Marie Meurdrac, La Chymie charitable et facile en faveur des Dames. Par Damoiselle M. M. Seconde Edition, Paris, Jean d’Hoüry, 1674

[5] « Pour ce qui est des Dames […] qui craindront de ne pas réussir, je m’expliqueray de vive voix quand on me fera l’honneur de m’en communiquer, et prendray soin de faire moy-mesme ce que l’on pourra souhaiter de ce j’enseigne. », op. cit. .

[6] Wellcome Institute Library MS. 1340

[7] Thomas Willis, Pharmaceutice Rationalis :Exercitation of the Operations of Medecines in Humane Bodies, Londres, 1674.

[8] « Je ne puis celer que le voyant achevé mieux que je n’eusse osé esperer, j’ay esté tentée de le publier : mais si j’avois des raisons pour le mettre en lumière, j’en avois pour le tenir caché, et ne le pas exposer à la censure generale. Dans ce combat, je suis demeurée prés de deux ans irresoluë », « Avant-propos » dans Marie Meurdrac, La Chymie charitable et facile en faveur des Dames, op. cit. .

[9] « Nous soussignez Docteurs Regens en la Faculté de Medecine à Paris, certifions avoir veu et leu un Livre intitulé La Chymie Charitable et facile : Composé par Damoiselle Marie Meurdrac dans lequel nous ne trouvons rien qui ne puisse estre utile au Public. En foy dequoy nous avons souscrit. Fait ce 10 Decembre 1665. Signez, Le Vignon Doyen. De Caen. De Bourges. », op. cit. .

[10] « Avant-propos », op. cit. .

[11] « Avant-propos », op. cit. .

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